L’atelier des Entretiens territoriaux (ETS) consacré au « scandale Dexia », le 5 décembre, à Lyon, a pris une résonance particulière au moment où le Parlement s’apprête à voter (discussions à l’Assemblée Nationale à partir du 12 décembre) la création d’un fonds de soutien destiné aux collectivités territoriales ayant contracté des produits structurés, dont la banque a été la principale pourvoyeuse.
L’affaire des emprunts toxiques concerne environ 1 500 collectivités ou organismes publics (hôpitaux, habitat social…). Après son premier sauvetage en 2008, le groupe Dexia, principal pourvoyeur de ces produits financiers risqués, détenu par les Etats français, belge et luxembourgeois, a été démantelé en 2011 pour le sauver de la faillite. Cette opération a coûté 6,6 milliards d’euros à la France (2,72 milliards pour l’Etat et 3,9 milliards pour la Caisse des dépôts).
L’activité de prêteur des collectivités locales a été transférée à la Société de financement local (Sfil), propriété publique, qui a hérité des contentieux sur les emprunts toxiques. Environ 300 contentieux, dont 200 à 250 auprès de Dexia et de la Sfil, ont été engagés. Le stock de la dette toxique est évalué entre 12 et 15 milliards d’euros, « ce qui représente environ un point de PIB et peut donc avoir un impact sur l’appréciation de la situation financière de l’Etat français par les prêteurs », a souligné un consultant en finances locales, lors de l’atelier des ETS.
Le projet de budget pour 2014, en cours de discussion, prévoit, en échange de la création du fonds de soutien aux collectivités, une validation juridique et rétroactive de ces emprunts toxiques. Pour accéder à ce fonds, les collectivités seront en effet obligées de renoncer à tout contentieux, en cours ou à venir, à l’encontre de la Sfil et Dexia.
Ce dispositif dit « loi de validation » des emprunts toxiques vise à stopper l’inflation des contentieux, depuis un jugement rendu par le TGI de Nanterre le 8 février 2013, favorable au conseil général de la Seine-Saint-Denis. Appelé à trancher sur le caractère abusif et spéculatif d’une série de prêts conçus par Dexia dans les années 1990, le juge n’a pas constaté d’irrégularité. Mais il a annulé les taux d’intérêt de trois contrats de prêts au motif que les faxes de confirmation ne comportaient pas la mention, obligatoire (article L.313-2 du Code de la consommation) du fameux taux effectif global (TEG, le taux d’intérêt tout compris d’un prêt). Il leur a substitué le taux légal d’intérêt en vigueur (un taux très inférieur, de 0,71 % aujourd’hui).
« La question du TEG n’est qu’une péripétie que le gouvernement espère régler avec la création du fonds de soutien, estime Didier Seban, avocat. Or, cela ne règle en rien les raisons du litige qui proviennent d’une rupture de confiance entre les banques et les collectivités, les premières ayant fait prévaloir des intérêts contradictoires avec ceux de leurs clients. »
Un constat partagé par Michel Klopfer, Spécialiste des finances locales : « Le fonds de soutien fige la situation entre le camp des banquiers et celui des collectivités. Il crée un no man’s land, sans régler les problèmes de consanguinité entre les banques et la direction du Trésor qui ont favorisé le scandale Dexia. Surtout, les discussions très longues sur la création du fonds ont fait perdre 6 mois aux collectivités qui ne bénéficieront pas d’un dispositif rétroactif. »
Jean-Gabriel Madinier, directeur général des services de Saint-Etienne, qui a dû gérer « une dette composée en 2008 à 69 % de produits structurés ramenée à 27 % aujourd’hui », pointe la « navigation à vue » du gouvernement. « Le risque généré par les emprunts toxiques dans le portefeuille des collectivités n’est toujours pas estimé précisément. L’Etat pense que le fonds suffira et que les collectivités pourront encaisser le choc en augmentant la fiscalité ou en réduisant leurs dépenses », déplore- t-il.
« Personne ne sait combien coûterait l’extinction des emprunts toxiques qui, comme l’uranium, ont une durée de vie extrêmement longue », ironise Michel Klopfer. Un constat déjà formulé par la Cour des comptes, en juillet dernier, dans son rapport soulignant que « les risques perdureront jusqu’au débouclage du dernier emprunt, dans quarante ans ».
Plus inquiétant, les intervenants à l’atelier des ETS ont unanimement pointé les « risques de réplique » d’une telle catastrophe financière. « Les relations incestueuses entre l’Etat et les banques perdurent, estime Olivier Nys, directeur général des services de la ville et de l’agglomération de Reims. Elles favoriseront d’autres gros contentieux, liés par exemple aux contrats de partenariat. Ces contrats courent sur une durée de 30 ans et créent les conditions d’une renégociation douloureuse pour les collectivités avec les entreprises. L’Etat a soutenu ce type de contrats. Or, il est autiste et n’alerte pas les élus locaux sur les risques potentiels. »
Michel Klopfer partage ce point de vue, en rappelant que « pendant des années, les PPP ne figuraient pas dans les comptes des collectivités ». Le consultant identifie un second risque financier majeur pour les collectivités « lié à la création de multiples sociétés publiques locales (SPL) qui permettent aux élus de contourner les règles des marchés publics ».
« La mémoire des catastrophes est de plus en plus courte, a estimé Didier Seban. Attention à la réplique du séisme financier sous une autre forme car les innovations techniques sont foisonnantes en la matière. »
Pour conjurer ces risques, Jules Nyssen, directeur général des services de Montpellier, demande une « rénovation de la gouvernance financière » entre l’Etat, les collectivités et les banques, qui reposerait sur « la confiance et la transparence ». Une gouvernance qui reste largement à écrire.
(Courrier des Maires)